Panorama, 06 février 2009
di Enzo Bianchi
La prière n'est pas toujours naturelle; mais à force d'endurance elle prendra une telle vigueur qu'elle «montera devant Dieu comme un feu».
Cher Jean,
« Tu ne peux devenir moine si tu ne deviens tout entier comme un feu qui se consume », a dit un père du désert. Et, aux premiers siècles, ils ont été des centaines, voire des milliers, à s'exercer à cet art exigeant de la prière et de l'ascèse dans le désert égyptien. Tu seras peut-être surpris d'apprendre que parmi ces solitaires, on trouvait même quelques femmes. C'est l'une d'elle que je veux t'inviter aujourd'hui à écouter.
Son nom est amma Synclétique. Elle provenait d'une famille noble et très riche, établie à Alexandrie d'Égypte au IVe siècle. Lorsque ses parents moururent, Synclétique se retira dans un lieu solitaire pour y pratiquer une vie d'une extrême austérité, dans la prière et le jeûne. Le jeûne lui était d'ailleurs si familier qu'elle le considérait comme le fondement de toute la vie spirituelle. On dit même que lorsqu'il lui arrivait de manger plus que d'ordinaire, paradoxalement, elle en devenait toute pâle et son corps se mettait à dépérir! Sa réputation attira de nombreuses jeunes femmes dans le désert: pour les former, elle préférait le silence et les larmes aux paroles. Mais certaines sentences d'elles nous sont toutefois parvenues.
Lorsqu'elle parlait, pour évoquer les réalités spirituelles, Synclétique s'exprimait toujours dans un langage imagé. Rares sont les paroles d'elle qui nous ont été transmises où il n'est question de navigation, de construction, d'entraînement athlétique… Elle compare ainsi l'effort nécessaire à la rencontre avec Dieu, dans la vie spirituelle, à celui de l'allumage d'un feu: « Pour ceux qui s'avancent vers Dieu – affirme amma Synclétique – il y a au commencement beaucoup de luttes et de peines, et ensuite une joie ineffable. En effet, comme ceux qui veulent allumer un feu sont d'abord dans la fumée et pleurent, et par ce moyen obtiennent ce qu'ils cherchaient, ainsi nous faut-il aussi allumer le feu divin avec des larmes et de la peine. »
Amma Synclétique fait bien sûr allusion au verset biblique où il est dit de Dieu qu'il « est un feu dévorant » (Dt 4,24; He 12,29). Mais avant de s'en laisser embraser, il faut de notre part beaucoup d'effort, dit cette mère du désert. Car l'assiduité à la prière n'est pas facile: ta propre expérience te l'enseigne à toi aussi, cher ami! Tant d'autres réalités nous semblent si souvent plus importantes et urgentes. Les choses n'étaient guère différentes pour les solitaires du désert égyptien: leurs apophtegmes sont, sur ce point, on ne peut plus clairs…
Oui, bien des difficultés nous font peiner, lorsqu'on veut se mettre à prier pour rencontrer Dieu sincèrement. Celle qui est le plus fréquemment évoquée aujourd'hui est le manque de temps. Et puis il y a les distractions, qui égarent notre esprit loin de Dieu. On peut mentionner encore l'impression d'aridité, ces moments où la prière n'éveille en nous aucune émotion. Enfin la prière est parfois perçue comme une démission, une évasion, le contraire de l'action… Tu pourrais sans doute citer encore d'autres obstacles qui entravent régulièrement ta vie de prière. Or, répond amma Synclétique, ces épreuves son nécessairement présentes lorsqu'on veut s'approcher du Seigneur. Elles sont la fumée que dégage initialement le feu de l'amour de Dieu. On la traverse à force de persévérance; mais ensuite, combien la flamme réchauffe et réconforte!
La prière n'est donc pas toujours naturelle; mais à force d'endurance elle prendra une telle vigueur qu'elle « montera devant Dieu comme un feu », affirme un père du désert. Elle pourra même te faire devenir toi-même « tout entier comme du feu ». Et lorsque tu y seras parvenu, conclut amma Synclétique, « de même que les drogues les plus âcres expulsent les animaux venimeux, ainsi ta prière chassera-t-elle les mauvaises pensées » qui s'opposent à elle!
Ton ami Enzo