Il Blog di Enzo Bianchi

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​Fondatore della comunità di Bose

Abba Hypéréchios: Le jeûne, frein au mal

06/03/2009 00:00

ENZO BIANCHI

Riviste 2009,

Abba Hypéréchios: Le jeûne, frein au mal

Panorama

Panorama, 06 mars 2009


di Enzo Bianchi

 

Abba Hypéréchios et les autres pères du désert l'affirment, le jeûne doit faire passer la communion avant la consommation.

Cher Jean,
Parmi les pères du désert que je t'invite à rencontrer ces temps, il en est certains dont nous ne connaissons que le nom, lié à certaines des paroles qui nous ont été transmises d'eux. C'est le cas d'abba Hypéréchios, à qui on attribue les titres de bienheureux et de prêtre. Mais au-delà de ces qualificatifs, nous ne disposons d'aucune donnée biographique à son propos. Toutefois Hypéréchios a dû être fameux à l'époque ancienne. En effet une collection de cent soixante de ses sentences nous est parvenue tant en traduction grecque qu'en latin. Par ailleurs, nombreux sont les pères du désert qui citent ses paroles dans leurs histoires.

Contentons-nous alors, nous aussi, de ses simples paroles (pour la plupart extrêmement courtes et saisissantes) pour connaître le père Hypéréchios. C'est à l'écoute d'une d'elles en particulier que je voudrais me mettre aujourd'hui: elle pourra t'accompagner durant ce temps du carême.

Abba Hypéréchios a dit: « Le jeûne est un frein contre le péché. Celui qui le rejette est comme un cheval en rut. » Hypéréchios s'exprimait ainsi: de manière brève et tranchante. Mais qu'est-ce que cette sentence peut vouloir dire aujourd'hui pour toi, qui cherche à pratiquer l'exercice du jeûne durant ces semaines avant Pâques? Tout d'abord que le jeûne, la modération de l’appétit alimentaire, peut t'enseigner également la modération des nombreux autres appétits qui habitent en toi, et qui peuvent te conduire (que tu le veuille ou non) à commettre le mal. Car si tu apprends à renoncer à manger lorsque tu as faim (dans certaines limites, bien entendu!), tu découvriras aussi qu'il t'est possible de renoncer aux actions mauvaises, aux «péchés», que certaines situations voudraient te pousser à commettre. Le jeûne, en ce sens, est une ascèse du besoin et une éducation du désir. Il t'amène à accepter de ne pas avoir tout tout de suite, et par quelque moyen que ce soit.
Mais le jeûne est aussi, cela te surprendra peut-être, un apprentissage de la relation à l’autre. Et c'est toujours abba Hypéréchios qui nous le dit dans cet autre apophtegme: « Il vaut mieux manger de la viande et boire du vin que de dévorer la chair de ses frères. » Étrange logique – me diras-tu – qu'a cet ardent défenseur de la pratique du jeûne, s'il se met soudain à faire l'apologie de la bonne chère… Mais là n'est pas vraiment le sens de cette parole. Hypéréchios affirme bien plutôt que, si le jeûne est un exercice utile pour la vie spirituelle, il ne peut pourtant être considéré comme une vertu en soi. Il doit au contraire mener à autre chose, de plus grand, et en particulier à la charité, à l'amour envers les autres. Face au danger qui émerge parfois de pousser à l'extrême certaines pratiques ascétiques (ne pas manger, ne pas dormir…), au risque d'en absolutiser la valeur, Hypéréchios en relativise l'importance, pour subordonner l'ascèse à l'amour, à la relation à l'autre.

Comme nous le montre une autre anecdote qui relate le dialogue entre deux pères du désert, le jeûne ne peut en aucun cas avoir son but en soi-même, et conduire celui qui le pratique à se vanter de ses exploits ascétiques. Car alors, mieux vaudrait ne pas jeûner. Un père explique ainsi à un autre: « Depuis que j'ai pris l'habit monastique, je n'ai pas mangé d'animal tué. » Et l'autre de répondre: « Moi, depuis que j'ai pris l'habit, je n'ai pas laissé quelqu'un s'endormir avec un grief contre moi, et je ne me suis pas couché avec un grief contre quelqu'un. »

Oui, abba Hypéréchios et les autres pères du désert l'affirment, le jeûne doit faire passer la communion avant la consommation : il nous amène à contester l’avidité et à instaurer une attitude d’altérité, non seulement à l’égard de la nourriture, mais aussi dans le rapport aux autres et avec Dieu. C'est vrai, « l’homme ne vit pas de pain seulement », mais il vit avant tout des relations qu'il apprend à tisser jour après jour avec le Seigneur et avec les autres.

 

Ton ami Enzo