Panorama, 04 juin 2009
di Enzo Bianchi
En effet, aucune chute, aucun péché n'a le dernier mot dans la vie des chrétiens, mais la foi rend capable de croire davantage à la miséricorde de Dieu.
Cher Jean,
« Aujourd'hui, je recommence »: combien de fois n'as-tu pas pris cet engagement dans ta vie? « Je prends un nouveau départ… » Dans la vie chrétienne, loin de constituer une simple résolution que l'on risque d'oublier aussitôt qu'on l'a formulée, cette attitude devrait au contraire représenter un élan fondamental. Et recommencer chaque jour, reprendre le labeur à zéro, jour après jour, sans se lasser, c'est bien ce que faisaient déjà les pères du désert, il y a plus de quinze siècles.
Un de ces « recommençants » perpétuels était abba Sisoès, une autorité parmi les pères du désert. Disciple du grand Macaire de Scété (que je t'ai déjà fait rencontrer), il se retira sur la montagne de saint Antoine, le « père des moines », à la mort de ce dernier. Sisoès s'inscrit ainsi dans la lignée et la filiation spirituelle des principaux pères du désert. Homme plein de douceur et de compréhension pour les autres, il avait toutefois choisi une vie de radicalité qui se traduisait par une profonde immersion en Dieu, envers qui il manifestait à la fois une crainte révérencielle et une confiance illimitée. Son audace dans la prière n'avait d'égale que sa miséricorde pour ses frères, qu'il put exercer durant de longues années, puisqu'il mourut probablement centenaire. Le jour de sa mort précisément, alors que la sainteté faisait littéralement briller son visage, il demanda à pouvoir faire encore un peu pénitence avant de rencontrer le Seigneur. « Mais tu n'en as pas besoin, père », lui répliquèrent les frères qui l'entouraient et savaient qu'il était parfait. Mais lui de leur répondre: « En vérité, je n'ai même pas conscience d'en être encore au commencement. »
Pourquoi, après ces décennies de vie ascétique au désert, notre abba entretient-il encore cette impression de n'avoir pas même commencé? Et commencé quoi, au juste? Sisoès est de ceux qui savent que la vie chrétienne se caractérise avant tout par la conversion: cette attitude d'abandon des « idoles » pour se tourner seulement et uniquement vers le Dieu vivant. Et il sait aussi que cette conversion n'est jamais achevée, qu'elle est même toujours à reprendre. En effet, elle ne coïncide pas simplement avec le moment initial de la foi, mais constitue la forme même de la foi vécue. Car les tentations, les occasions de chute, de commettre le mal sous toutes ses formes sont toujours présentes; et malgré la meilleure volonté, on peut y succomber chaque fois. Mais l'essentiel est toujours de se reprendre, de repartir, de se tourner comme à nouveau vers le Seigneur qui pardonne et guérit.
Une autre histoire provenant du désert en fait le récit laconique. On demanda à un moine ancien: « Abba, que faites-vous ici dans le désert? » L'abba répondit: « Nous tombons et nous nous relevons, nous tombons et nous nous relevons, nous tombons encore et nous nous relevons encore! » Ne te fais donc aucune illusion: la vie spirituelle chrétienne n'est pas une continuelle montée vers le haut, elle n'est pas un chemin de perfection, mais elle est cet incessant retour à Dieu. Oui, dans la vie chrétienne, selon les mots de Grégoire de Nysse, on va « de commencement en commencement, à travers des commencements qui n'ont pas de fin ».
En effet, aucune chute, aucun péché n'a le dernier mot dans la vie des chrétiens, mais la foi rend capable de croire davantage à la miséricorde de Dieu qu'à l'évidence de nos propres faiblesses. Elle rend capable de reprendre toujours à nouveau le chemin, « dans le continuel recommencement d'un homme jamais découragé parce que toujours pardonné », comme on l'a écrit.
Et pour t'encourager toi aussi dans cette démarche, je te livre un dernier récit du désert. On demanda un jour à un ancien: « Abba, l'homme peut-il chaque jour poser un nouveau fondement? » Le vieillard répondit: « S'il est travailleur, il peut même à chaque heure poser un nouveau fondement! »
Ton ami Enzo