Panorama, 17 juillet 2010
di Enzo Bianchi
On pourrait paraphraser Hippolyte en disant: «Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne véritablement homme!»
Cher Jean,
Au tournant du IIe et du IIIe siècle, un prêtre de Rome du nom d’Hippolyte, auteur spirituel très prolixe qui avait été disciple d’Irénée de Lyon et a terminé sa vie en exil en Sardaigne, a écrit : « Le Christ, Dieu parfait, a décidé de renouveler complètement l’homme ancien ; Dieu fait de toi un dieu à sa gloire »… C’est en prenant Hippolyte comme guide que je voudrais réfléchir avec toi à la question que tu me poses : « Qui est l’homme ? ».
Dans le christianisme, l’image que nous nous faisons de l’homme est inséparable de celle de Dieu : oui, la manière dont nous vivons notre humanité révèle notre image de Dieu ! Et ceci pour deux raisons. Tout d’abord parce que selon notre foi, Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance ; or cette image demeure indélébile en tout homme, quel que soit son péché, quelle que soit la défiguration de soi que l’homme puisse réaliser. À travers sa simple humanité, l’homme renvoie à Dieu.
Mais pour les chrétiens, il y a une raison ultérieure, ou mieux, cette vérité de la création s’est approfondie et s’est pleinement accomplie. Où ? Dans l’événement de l’incarnation de Dieu en Jésus de Nazareth. Un Dieu devenu homme : ce scandale a provoqué la stupeur dès les premiers siècles. Hippolyte de Rome s’en fait l’écho lorsqu’il souligne : « Nous savons que le Verbe s’est fait homme, de la même pâte que nous ! »
Oui, Jésus est la Parole de Dieu, mais elle est devenue chair ; le Christ est le Fils de Dieu qui s’est fait homme, le Fils de l’homme né d’une femme. Il a vraiment été homme comme nous, en tout, lui qui a connu la naissance, la croissance et le déclin, puis la mort. « Mais pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? », s’est demandé toute la tradition chrétienne. Écoute à nouveau la réponse d’Hippolyte de Rome : Dieu s’est fait homme, comme nous sommes hommes, « car s’il n’en était pas ainsi, c’est en vain qu’il nous aurait demandé de l’imiter. Si cet homme, Jésus, avait été d’une autre substance, comment aurait-il pu nous demander, à nous qui sommes faibles par nature, de nous comporter comme lui s’est comporté ? »
On pourrait paraphraser Hippolyte en disant : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne véritablement homme ! » N’interprète pas cette affirmation comme une diminution, en pensant que toute la question théologique de l’incarnation se résout à bas prix dans l’humanité ! Mais cherche à saisir la profondeur du fait que, si Dieu s’est fait homme en Jésus de Nazareth, c’est pour nous montrer l’homme authentique, l’adam véritablement à son image et à sa ressemblance ; et ainsi nous enseigner à vivre en plénitude.
D’ailleurs, l’apôtre Paul affirme lui aussi qu’à travers la venue de Jésus « s’est produite l’épiphanie de la bonté de Dieu, pour nous enseigner à vivre dans ce monde » (Tt 2,11-12). Assurément, Jésus est venu pour nous sauver, il est certes venu afin que nous devenions Dieu, comme l’expriment les chrétiens occidentaux et orientaux ; mais, nous dit Paul, il est aussi venu pour nous enseigner à vivre dans ce monde, pour nous montrer la vraie vie humaine !
L’homme Jésus, par son existence terrestre, nous a « raconté » Dieu ; en vivant comme il nous l’a enseigné lui-même, nous pouvons à notre tour nous aimer en plénitude, c’est-à-dire devenir véritablement humains, et aller ainsi jusqu’à connaître le Dieu de Jésus Christ. Hippolyte de Rome l’indique encore une fois : « Lorsque Jésus dit “Nul ne vient au Père que par moi” (Jn 14,6), cela signifie : si tu m’as vu, tu peux connaître le Père à travers moi, car on peut connaître le Père grâce à son image. Si donc tu n’as pas connu son image, comment prétends-tu voir le Père ? »
Voilà dès lors l’appel qui t’est adressé : devenir à ton tout image de l’image de Dieu que Jésus a révélé. Tu pourras ainsi manifester qui est Dieu à travers ta propre humanité !
Ton ami Enzo