Panorama, 03 avril 2011
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di Enzo Bianchi
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L’Écriture ne nous est pas donnée à nous seuls : c’est bien plutôt au contact d’autres auditeurs que nous entendons la Parole dans toute sa profondeur.
Cher Jean,
Ces derniers mois, j’ai évoqué avec toi Augustin, Ambroise et Jérôme. Il est toutefois un autre Père que l’on associe souvent à ces trois, bien qu’il ait vécu près de deux siècles après eux : Grégoire le Grand. Ensemble, ils sont considérés comme les quatre grands Pères de l’Église occidentale.
Grégoire, né à Rome en 540, était avant tout un amoureux des Écritures : comme il l’a écrit, son aspiration profonde était de « découvrir le cœur de Dieu dans la Parole de Dieu ». Le désir d’intimité avec le Seigneur lui fit abandonner une brillante carrière politique pour se consacrer à la vie monastique. Or la renommée de ses grandes qualités humaines et spirituelles le propulsa ambassadeur du pape à Constantinople ; il s’y fit accompagner par un détachement de moines, pour partager avec eux l’écoute et la méditation quotidienne des Écritures. Car si, selon Grégoire, c’est « chaque jour qu’il faut méditer les paroles du Créateur », c’est surtout dans la communauté des frères que l’Écriture peut être réellement comprise et mise en pratique. Élu pape – il le sera jusqu’à sa mort en 604 – il maintint cette assiduité avec la Bible et ses frères, même au milieu des multiples engagements de son ministère. Grégoire Ier accepta d’ailleurs comme unique titre celui de « serviteur des serviteurs de Dieu ».
Selon Grégoire, « le seul but de Dieu, en nous parlant à travers l’Écriture, est de nous attirer à l’amour de Dieu et du prochain ». « On découvre l’ineffable puissance de la Parole quand le cœur qui la lit se sent pénétré par l’amour venu d’en haut. » Mais cette découverte n’est pas immédiate ; au contraire, elle progresse toujours : pour Grégoire le Grand, en effet, « l’Écriture grandit avec celui qui la lit », c’est-à -dire que la compréhension du texte biblique s’accroît avec la maturation spirituelle de celui qui le médite et l’interprète. « Plus on fréquente la sainte Écriture, moins on s’en lasse ; plus on la médite, plus on l’aime », écrivait-il.
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Mais l’Écriture ne nous est pas donnée à nous seuls : c’est bien plutôt au contact d’autres auditeurs que nous entendons la Parole dans toute sa profondeur. Grégoire a raconté à ce propos : « Il est bien des passages de la sainte Écriture que je ne réussissais pas à comprendre tout seul, et je les ai saisis quand je me suis trouvé au milieu de mes frères. Suite à cette connaissance, j’ai tenté de comprendre grâce à qui cette intelligence m’était donnée. Je me suis rendu à l’évidence que la compréhension m’était offerte par leur intermédiaire. » Grégoire disait à ses frères : « J’apprends grâce à vous ce que j’enseigne au milieu de vous ; j’entends avec vous ce que je dis. »
En effet, la communauté de foi est le lieu le plus adapté pour interpréter la Parole de Dieu. En même temps également, la Parole édifie la communauté. Mais plus encore, selon Grégoire, tout membre du peuple de Dieu, s’il obéit à la Parole, peut la transmettre à ses frères : « En effet, dans la mesure où, remplis de foi, nous nous efforçons de faire retentir Dieu, nous sommes organes de la vérité ; et il est au pouvoir de la vérité qu’elle se manifeste par moi au milieu des autres ou que par les autres elle m’atteigne. »
C’est dans cet esprit qu’il entendait son ministère de prédicateur : « Que le glaive de la Parole de Dieu me passe au travers pour aller percer le cœur du prochain. Que la Parole de Dieu se fasse entendre par moi, fût-ce contre moi ! » Oui, la Parole de Dieu que nous avons à proclamer devant d’autres doit auparavant nous avoir touchés, et peut même se retourner contre nous qui la prêchons !
Mais cette transmission ne peut se donner, suivant Grégoire le Grand, qu’à une condition : « Ce que vous répandez au regard du monde, vous le puisez à la source de l’amour ; et en aimant, vous apprenez ce que vous produisez au jour en l’enseignant. » Oui, l’amour nous fait comprendre la Parole, et c’est en aimant que nous la mettons en pratique.
Ton ami Enzo