Panorama, 03 mai 2011
di Enzo Bianchi
Ce n’est que si les biens sont partagés entre tous et en particulier avec les plus pauvres qu’ils peuvent devenir bons, affirme Jean Chrysostome.
Cher Jean,
Quelle parole l’Église a-t-elle à dire sur la pauvreté ? Cette question de ta dernière lettre m’a frappé. Je voudrais tenter d’esquisser une réponse en t’indiquant ce qu’en a écrit un Père de l’Église d’Orient au IVe siècle : saint Jean Chrysostome (349-407).
Quelques mots d’abord sur cet auteur : prêtre d’Antioche, Jean devint célèbre par son abondante prédication. Son surnom en grec le rappelle : Chrysostomos veut dire en effet « bouche d’or ». En 398, Jean est nommé patriarche de Constantinople. Mais la grande franchise évangélique de ses discours et de ses initiatives lui provoque des inimitiés. Il est forcé à l’exil à deux reprises et c’est en en gagnant à pied son second lieu de déportation dans le Caucase, au prix de marches forcées, qu’il mourra d’épuisement.
Ses écrits touchent tous les sujets de la vie chrétienne, depuis l’exégèse biblique jusqu’aux thèmes sociaux ou moraux : c’est là que s’inscrit son enseignement sur les implications spirituelles des richesses et de la pauvreté. Pour lui, la terre a été créée pour tous ; chacun a dès lors le droit d’en profiter : « Au commencement, Dieu n’a pas rendu l’un riche et l’autre pauvre, mais il a donné à tous la même terre. Les fruits de la terre doivent donc être communs à tous. » Jean en arrive à cette conclusion : « Le mien et le tien ne sont autres que des mots privés de fondement réel. Si tu affirmes que cette maison est à toi, tu prononces des paroles inconsistantes : de fait, l’air, la terre, la matière appartiennent au Créateur, de même que toi, qui l’a construite. Et il en va ainsi de tout le reste. »
Le thème de la pauvreté est facilement manipulable : en extrapolant un peu, il est possible de fonder sur certains textes évangéliques un rigorisme aussi radical qu’irréalisable. À l’inverse, on peut considérer, avec désinvolture, que les richesses ne constituent pas une entrave à la vie chrétienne. Sans idéologie, Chrysostome ramène alors le débat à l’essentiel du message néotestamentaire, et l’inscrit dans le contexte social où sont insérés les chrétiens.
En effet, parler de pauvreté n’a de sens que si l’on n’isole pas ce sujet, mais qu’on le met en relation avec le centre de la vie et de la prédication de Jésus : l’annonce de l’irruption du Royaume de Dieu. Or ce Royaume appartient aux pauvres (voir Lc 6,20) ; le primat accordé à sa venue conduit donc à relativiser drastiquement les richesses. Si celles-ci ne sont peut-être pas mauvaises en soi, reconnaît Jean Chrysostome, celui qui les possède ne devient toutefois bon que s’il les partage avec ceux qui en ont besoin : car « n’est-ce pas un mal que de posséder pour soi seul les biens du Seigneur » ?
Oui, pour Jean Chrysostome, ce n’est que si les biens sont partagés entre tous et en particulier avec les plus pauvres qu’ils peuvent devenir bons. La pauvreté ne consiste donc pas dans le « misérabilisme », mais dans une distribution des richesses « selon les besoins de chacun » (voir Ac 2,45). Faute de quoi, avertit le patriarche de Constantinople, paradoxalement, « celui qui possède des richesses devient plus pauvre, car il se trouve dominé par le désir d’avoir toujours davantage et sent le besoin de posséder toujours plus ».
Or la soif de posséder conduit à la rivalité, à l’hostilité entre personnes. Ces querelles, note Jean Chysostome, sont « comme une réaction de la nature qui s’indignerait de ce que, quand Dieu nous rassemble de toute part, nous nous déchirons par notre besoin d’appropriation ». Le Seigneur en revanche donne l’exemple inverse : « Christ, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir par sa pauvreté » (voir 2Co 8,9). Jean Chrysostome prêche en ce sens en faveur d’un « sacrement du frère », qui permet de vivre la communion des biens : « Si un pauvre a besoin de ta miséricorde, qu’il soit païen ou juif, il n’y a pas à hésiter : ce frère a droit à ton secours… »
Ton ami Enzo