Panorama, 03 septembre 2011
di Enzo Bianchi
Pour faire pressentir Dieu à nos cœurs, l’Écriture recourt à des figures. C’est par des comparaisons avec des réalités sensibles connues de nous qu’elle fait goûter à nos esprits les secrets précieux et invisibles de Dieu.
Cher Jean,
Dans ma dernière lettre, je t’ai parlé de saint Benoît. Permets-moi de poursuivre aujourd’hui en te présentant un autre moine : Bernard de Clairvaux. Avec lui, nous passons de la période antique à l’époque du Moyen Âge. Mais on retrouve chez ces deux moines une même attitude de recherche de Dieu. Bernard en est un témoin privilégié, lui qui va jusqu’à parler de « l’avènement intermédiaire » du Seigneur dans le cœur de ceux qui désirent sa présence.
Saint Bernard est né en 1090 dans la région de Dijon. À vingt-deux ans, entraînant avec lui une trentaine de membres de sa famille, il entre au monastère de Cîteaux, lequel venait de subir une réforme drastique (la réforme cistercienne, précisément) qui visait à faire revenir la vie monastique aux exigences premières de la Règle de saint Benoît : c’était une vie d’austérité, caractérisée par le travail des champs, où la charité devait constituer le seul fondement des relations fraternelles.
En 1115 déjà, les moines de Cîteaux créèrent une de leurs premières fondations, à Clairvaux (dans l’Aube) ; Bernard en fut aussitôt l’abbé et le restera jusqu’à sa mort en 1153. Fondateur à son tour de nombreux monastères, il devint aussi une des personnalités les plus influentes d’Occident, intervenant dans de nombreuses questions publiques, soutenant diverses polémiques et conseillant plusieurs papes.
S’il était homme d’action, Bernard se révéla également maître de spiritualité hors pair. En témoignent ses nombreux écrits spirituels, qui sont les fruits mûrs de sa lectio divina quotidienne, de sa méditation priante des Écritures dans la solitude de son monastère.
Parmi ces écrits, il faut attribuer une place à part à ses sermons sur le Cantique des cantiques. Bernard fut sans doute un des commentateurs les plus sensibles de ce livre biblique. Dans ce poème, où dialoguent l’amant et l’aimée, Bernard lit le chant d’amour entre le Christ et le croyant. Il explique que les mots de l’homme et de la femme dans le Cantique présentent en réalité l’échange entre Dieu et l’humain : « Pour faire pressentir Dieu à nos cœurs, l’Écriture recourt à des figures. C’est par des comparaisons avec des réalités sensibles connues de nous qu’elle fait goûter à nos esprits les secrets précieux et invisibles de Dieu. »
Bernard n’évacue pas pour autant les réalités charnelles présentes dans le texte qu’il commente ; il y base au contraire toute sa prédication. En effet, la foi ne conduit pas le chrétien à fuir sa réalité humaine, mais au contraire à l’assumer pour que le message de l’Évangile puisse y prendre corps. Ainsi lorsque le texte s’ouvre par ces mots : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche » (Ct 1,2), Bernard souligne à l’envi la suavité de ce baiser. Mais, pour l’abbé de Clairvaux, le désir de l’épouse du Cantique exprime en réalité la soif et la recherche de Dieu que le croyant connaît au moment de sa prière : « La bouche qui donne le baiser, c’est Lui, qui a pris notre chair humaine ; et la bouche qui reçoit ce baiser, c’est mon corps de chair. Lorsque je reçois ce baiser, je suis attiré à lui ; son baiser insuffle en moi son souffle, sa respiration devient ma respiration. » Bernard nous invite à rencontrer le Christ dans la contemplation, pour que son Esprit devienne véritablement le souffle qui anime toute notre existence.
Et parfois, souligne l’abbé de Clairvaux, le Christ est comme sensiblement présent à notre prière ; c’est ce que Bernard nomme « les visites du Verbe » : « Moi aussi, le Verbe m’a visité. J’ai senti qu’il était là et je me souviens de sa présence : » Mais cette présence, comme celle de l’époux dans le Cantique, est fugitive : aussitôt apparue, elle disparaît déjà. N’est-ce pas pour aiguiser notre soif de rencontrer le Seigneur ? « Nous sommes alors entraînés par notre désir. Sans crainte et sans gêne, notre âme rappelle le Christ. Avec confiance elle réclame ses faveurs, dans sa liberté coutumière : oui, “reviens, mon bien-aimé !” (Ct 2,17) ».
Ton ami Enzo