Panorama, 03 février 2012
di Enzo Bianchi
La recherche de la vérité de la part des chrétiens n’exclut pas le dialogue avec ceux qui se savent eux aussi en recherche de la vérité : elle l’exige, au contraire.
Le relativisme, qu’il soit religieux, éthique, philosophique, constitue une véritable pathologie dans notre société individualiste. Mais ne doit-il pas être reconnu aussi comme le point de départ pour un dialogue fructueux entre les chrétiens et d’autres chercheurs de vérité ? Il en va de leur inscription dans l’histoire de leur temps et de leur capacité d’humanité.
Un terme revient souvent, dans les milieux chrétiens, lorsqu’on évoque la société actuelle : c’est le mot « relativisme ». Répété de manière obsessive, ce mot risque de se transformer en mépris de la culture occidentale, de la part de chrétiens retranchés dans des positions défensives et finissant par nier toute possibilité de dialogue avec leurs contemporains.
Or il faut s’entendre sur le sens de ce mot. Le relativisme désigne une option de la pensée, et les comportements qui y sont liés, selon lesquels il n’existe pas de vérité absolue, mais uniquement des expériences multiples. Ce relativisme ne reconnaît rien de définitif et considère son propre « moi » comme critère ultime. Il constitue en cela une grande tentation, sous diverses formes : religieuse (toutes les spiritualités se valent), éthique (chacun est libre de ses principes moraux), philosophique (la vérité n’est qu’un mot subjectif)…
Entre relativisme et relativité nécessaire
Dans notre société où l’individualisme s’impose et où la pluralité culturelle, religieuse, éthique est une réalité, les grands principes fondateurs ont sans doute changé de statut. Le désir d’autonomie et de subjectivité, la revendication de réussir sa vie, la valeur décisive attribuée à l’expérience personnelle peuvent ouvrir la voie au relativisme. Mais, malgré les dérives possibles, cette transformation continue des valeurs engendre aussi des acquisition, qui sont un chemin d’humanisation.
Lorsqu’ils critiquent cette pathologie, les chrétiens doivent donc rester vigilants : savent-ils distinguer un « relativisme nécessaire » (qu’on peut appeler relativité) et ne pas finir par méconnaître ce qui pourrait bien être un signe des temps ? Si Jésus, en effet, a affirmé : « Je suis la vérité » (Jn 14,6), ce pourquoi nous le confessons comme notre seul Seigneur, le témoignage rendu à Jésus est toutefois relatif à chaque culture, à chaque situation historique, à notre propre capacité de langage. Cette vérité nous précède et nous dépasse toujours, tandis que nous continuons de la rechercher dans l’histoire et dans la compagnie des hommes et des femmes de ce temps. Il faut donc que les chrétiens affirment que leur compréhension de la vérité a besoin aussi d’autres « vérités », qui se trouvent en dehors de l’espace chrétien, parce que toute manifestation d’humanité comporte l’image et la ressemblance de Dieu, et charrie des traces de la présence de l’Esprit saint.
Le dialogue pour s’ouvrir à l’autre
En ce sens, la recherche de la vérité de la part des chrétiens n’exclut pas le dialogue avec ceux qui se savent eux aussi en recherche de la vérité : elle l’exige, au contraire. Le dialogue commence toujours lorsqu’on est conscient de pourvoir apprendre quelque chose de l’autre ; s’engager dans cette confrontation n’est dès lors pas un relativisme, mais l’acceptation de la relativité de chaque personne par rapport à la vérité recherchée.
Les chrétiens savent que leur manière de se référer à Dieu et au Christ apparaît relative pour d’autres ; de même qu’à leurs yeux les motifs de croire ou d’agir de l’autre sont relatifs ; mais c’est de là précisément que naît le dialogue ! Certes, écouter signifie s’exposer aux paroles de l’autre et accepter de mettre en jeu ses propres certitudes ; mais c’est l’aventure de la foi chrétienne dans l’histoire ! Veillons donc à ne pas récuser ce qui constitue une voie d’humanisation et apprenons à reconnaître avec intelligence, mais sans obsession, la pathologie du relativisme, qui est une menace pour l’humain avant même de l’être pour le chrétien.