Il Blog di Enzo Bianchi

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​Fondatore della comunità di Bose

Spiritualité et unité de l'Église

01/01/2008 09:40

ENZO BIANCHI

Riviste 2008,

Spiritualité et unité de l'Église

Positions Luthériennes

Positions Luthériennes no. 1, 2008
Enzo Bianchi


OEcuménisme spirituel? Spiritualité oecuménique?


Positions Luthériennes no. 1, 2008


1. OEcuménisme spirituel? Spiritualité oecuménique?


Sur le rapport entre spiritualité et unité de l'Église, ou entre spiritualité et action en vue de l'unité de l'Église, c'est-à-dire
oecuménisme, certaines contributions décisives ont été données par le passé, comme celles du père Matta el-Maskine
en 1967 ou du métropolite Antoine Plamadeala en 1970. Durant la saison de l'enthousiasme et de la découverte de
l'oecuménisme entre Églises, ces interventions ont été de véritables appels, qui ont donné authenticité et profondeur
spirituelle à des chemins de rencontre, de dialogue, de convergence, qui auraient sinon pu connaître le risque de n'être
parcourus que pour des raisons de politique ecclésiale ou de tendance sociologique mondaine.
Ces dernières années toutefois, il faut le dire clairement, des difficulté dans les rapports entre Églises sont apparues,
surtout en raison d'un retour au confessionnalisme et à l'affirmation intransigeante de la propre identité. En cette heure
de crise de l'élan oecuménique, décrite par certains comme un « hiver », par d'autres comme un « état comateux », on
reprend à parler avec insistance, et parfois presque avec agressivité, de l'« oecuménisme spirituel » comme de la route à
parcourir de manière nécessaire en vue de l'unité visible des chrétiens. On affirme et on écrit qu'« il faut revenir à l'élan
initial qui a mis en route le mouvement oecuménique… à savoir un mouvement spirituel, un oecuménisme spirituel »: ce
sont les mots du cardinal Walter Kasper, commentant la publication de sa part, l'an dernier, d'un Manuel pour la mise en
pratique de l'oecuménisme spirituel. Le pape Benoît XVI, pour sa part, après avoir affirmé dès le début de son pontificat
son engagement premier au service de la communion entre Églises, insiste pour rappeler que l'unité des Églises ne peut
pas être atteinte uniquement à travers des efforts humains, mais qu'elle est un don et une oeuvre de l'Esprit saint: le
travail oecuménique, par conséquent, est un travail spirituel… Le cardinal Kasper commente: « À bien des chrétiens, cela
semble un alibi; mais par certains aspects, ce programme correspond à l'état actuel du dialogue oecuménique ».
Cette insistance sur l'oecuménisme spirituel comporte sans nul doute le danger de favoriser, voire d'accepter
passivement la situation actuelle, sans conduire à prendre en charge la responsabilité de chemins difficiles mais
prophétiques vers l'unité et la communion. Derrière la nécessaire soumission à l'action de l'Esprit saint se cache le
risque que l'on perde le courage de cheminer avec les autres chrétiens et même la tentation que l'on chemine sans les
autres chrétiens. On risque la résignation devant la division, en se contentant d'un oecuménisme nourri de cordialité, de
solidarité, de respect réciproque, mais privé d'une véritable recherche de la communion visible, celle-là même pour
laquelle Jésus a prié la veille de sa passion (voir Jn 17,11.21-23). Si Jean-Paul II se demandait dans son encyclique Ut
unum sint: « Quanta est nobis via? Quelle distance nous reste-t-il à parcourir? », nous ne saurions peut-être plus nous
poser aujourd'hui la même question, car bien des choses ont changé en douze ans; il ne nous resterait peut-être qu'à
nous demander « Qualis nobis est via? Quel chemin devons-nous emprunter? »...
Je ne voudrais pas que l'on se méprenne sur ma relecture du rapport entre spiritualité et oecuménisme. Je ne voudrais
pas – mais ce malentendu concerne peut-être uniquement les catholiques – que mes paroles soient comprises comme
l'esquisse d'une « spiritualité oecuménique », d'un « oecuménisme spirituel ». En ce qui concerne la spiritualité
oecuménique, il faut en effet que l'on entende bien ceci: elle ne peut pas être le résultat de la spécialisation des
spiritualités, de sorte qu'à côté de la spiritualité d'un saint, d'un mouvement ou d'un état ecclésial (laïc, presbytéral…) on
trouverait place également pour la spiritualité de l'oecuménisme. Non, il ne peut exister aucune spiritualité « au génitif »,
comme le dénonçait déjà Louis Bouyer voici quarante ans; aucune spiritualité particulière, mais seulement la spiritualité
chrétienne, qui est et doit demeurer une et inaltérable: c'est la spiritualité comme vie animée par l'Esprit saint, qui
incorpore le croyant au Christ dans son cheminement vers le Père. Le Dictionnaire oecuménique affirme que « la
spiritualité est le développement de l'existence chrétienne sous la houlette du Saint-Esprit »: cette définition simple mais
suffisante dit bien que la spiritualité est une et inaltérable dans son essence, et en même temps qu'elle peut connaître
des réalisations différentes selon le sujet qui la vit et la développe. Oui, la vocation universelle à la sainteté est une,
comme l'est, dans son essence, la voie tracée par l'Esprit saint, qui sanctifie le chrétien et le rend conforme au Christ.
Or il découle précisément de cette « unicité » de la spiritualité chrétienne que, si une spiritualité n'est pas oecuménique –
c'est-à-dire si elle ne tient pas compte de l'oikouméne où sont situées les Églises –, cette spiritualité ne sera pas
authentiquement chrétienne, dans la mesure où il lui manquera certaines dimensions qui devraient lui être propres: elle
apparaîtra dès lors appauvrie. Une grande vigilance est donc requise, car l'oecuménisme peut toujours être vécu, dans
les moments d'enthousiasme comme dans ceux de crise, comme une simple option, qui serait réservée à certains spécialistes ou aux seuls volontaires! Comme le soulignait Jean-Paul II dans l'encyclique Ut unum sint, « l’oecuménisme
n’est pas qu’un ‘appendice’ quelconque qui s’ajoute à l’activité traditionnelle de l’Église. Au contraire, il est partie
intégrante de sa vie et de son action ». Pour cette raison, les chrétiens n'ont jamais à renoncer à accomplir toutes les
tentatives et tous les efforts qui se présentent à eux en vue de l'unité; ils ne peuvent pas avancer sans les autres, ils ne
peuvent pas négliger de tenir compte les uns des autres, car le baptême, quoi qu'il en soit, les a déjà incorporés au
Christ; et s'il n'y a pas de communion ni d'harmonie parmi les membres du corps du Christ, celui-ci apparaît dans
l'histoire et aux yeux des hommes comme un corps monstrueux et gravement infirme. J'ajouterais encore que nous ne
pouvons pas davantage nous bercer de l'illusion que l'oecuménisme est un chemin irréversible pour les Églises; car il
s'agit en réalité d'une attitude, d'une pratique de vie menée selon la forme de l'Évangile et suivant le style de vie de
Jésus, mais qui peut malheureusement toujours être contredite par les Églises et par les chrétiens à travers des actes,
des paroles, des sentiments qui sont de l'ordre du péché, et blessent l'Évangile et le commandement nouveau que Jésus
a laissé à ses disciples (voir Jn 13,34; 15,12).
L'oecuménisme n'est dès lors pas un habit que l'on pourrait revêtir ou ôter selon les circonstances et les saisons; mais il
s'agit d'une dimension fondamentale du vécu et du témoignage des disciples du Christ: si la spiritualité est véritablement
chrétienne, elle sera forcément aussi oecuménique, capable de s'opposer aux fractionnements, aux divisions, aux
antagonismes, aux concurrences, aux références à soi-même; elle sera capable de reconnaître « la multicolore sagesse
de Dieu » (he polypoíkilos sophía toû theoû: Ep 3,10) présente dans les communautés chrétiennes.
En ce sens, il est nécessaire de veiller à ce que l'écoute réciproque et l'échange qui ont lieu aujourd'hui entre les
diverses confessions chrétiennes ne soient pas que naïve curiosité ou abandon à une « voracité ésotérique », mais qu'ils
deviennent ouverture authentique et vrai désir de connaissance du patrimoine spirituel de l'autre. Il est indispensable que
le croisement entre les « différentes spiritualités confessionnelles » – que l'on reconnaît avant tout dans l'accueil de la part
de l'Occident de certains éléments de la tradition orientale (comme les icônes, la spiritualité monastique, la prière de
Jésus…) – tende à une commune recherche: il s'agit de chercher ensemble à vivre la spiritualité chrétienne dans
l'obéissance à la Parole et aux sacrements, dans lesquels l'Esprit saint et la Vérité qu'est la personne de Jésus Christ
(voir Jn 4,23) accomplissent leur oeuvre de justification et de sanctification.


2. Exigences pour une spiritualité authentique


De ce que j'ai dit jusqu'ici, il ressort avec évidence que, lorsque je parle de spiritualité authentique, je ne me réfère pas à
une spiritualité qui serait spécifiquement déclinée dans une direction oecuménique, mais à la spiritualité chrétienne sic et
simpliciter, qui doit tenir compte de quelques instances urgentes, lesquelles peuvent être reçues de tous les chrétiens.
J'en distingue trois: la vie chrétienne comme vie marquée par la conversion, comme vie consciente du primat de la foi
exprimé dans le baptême, comme vie qui se distingue par la communion.


a) Une vie de conversion
Même si nous nous trouvons toujours plus souvent face à des générations « en rupture de mémoire », pour qui la
transmission de la foi a manqué, la vie spirituelle chrétienne est toutefois vécue aujourd'hui en Europe par des hommes
et des femmes à qui la foi a été transmise, dans la majorité des cas, par tradition. Ces chrétiens, pour la plupart, ne
reçoivent donc pas le qualificatif de « convertis », puisqu'ils n'ont pas connu l'événement de la conversion, cette
transformation qui marque un avant et un après. Pour cette raison notamment, il est urgent que soit pratiquée une vie
spirituelle où l'insistance sur la teshuvah, la metánoia, rappelle que suivre le Christ, lorsqu'on en paie le prix fort, exige
une transformation de la mentalité, un comportement différent dans la compagnie des hommes. Parmi les chrétiens et
dans les communautés de croyants on devrait pouvoir reconnaître non seulement la confession de foi explicite, mais
également la capacité de manifester la « différence chrétienne » dans la vie quotidienne, dans le style de vie: la vie
chrétienne est en effet une vie tendant constamment à répudier l'aliénation idolâtrique et visant à conformer celui qui la
mène à la vie humaine de Jésus, pour qu'il se revête de lui (voir Ga 3,27) et participe ainsi à la dynamique de sa mort et
résurrection.


b) Une vie qui mette en évidence le baptême
Il est urgent, selon moi, que résonne également pour les Églises cet appel à la conversion et à la suivance du Christ –
qui n'a jamais manqué comme appel adressé aux chrétiens individuels –; cet appel « pour la conversion des Églises »
que les théologiens du groupe des Dombes ont fait résonner avec une audace prophétique voici quelques années. Un
obstacle majeur à la mise en pratique de cette instance est constitué par le décalage et la distance que l'on enregistre
souvent entre l'espace ecclésial et la spiritualité, entre l'expérience ecclésiale et l'expérience spirituelle, au point qu'ils
sont souvent conçus comme des domaines qui s'opposent l'un à l'autre. Il s'agit de se demander avec franchise: les
paroisses et, de manière plus générale, les orientations pastorales actuelles accomplissent-elles vraiment et de manière
première la tâche d'initier les chrétiens à la vie dans l'Esprit? La pastorale courante a fini par faire sienne l'idée que
l'expérience religieuse correspond surtout à un engagement dans le monde, plutôt qu'à une relation personnelle avec
Dieu, dans l'Église, grâce à l'écoute de sa Parole.
Plus encore: lorsque la foi se réduit au seul niveau éthique; lorsque la foi est « ecclésifiée » et que l'on ne souligne plus la
relation personnelle à vivre de manière indispensable avec le Seigneur Jésus; lorsque l'on surestime l'engagement
social, caritatif et d'assistance, considéré comme la dimension totalisante de l'existence chrétienne, alors aucune place et aucune attention ne sont offertes à la vie spirituelle! Nos Églises se sont à ce point bureaucratisées qu'elles ont permis
que se pose la question – soulevée notamment, il y a quelques années, par celui qui était alors le cardinal Joseph
Ratzinger – de savoir si il y a encore place, dans la communauté chrétienne, pour l'Esprit saint… À ce propos, je me
demande si cette dichotomie entre la vie spirituelle et l'engagement social n'est pas aussi cause de la discordance
toujours majeure – qui apparaît parfois comme une dissension ouverte – entre Églises, dans le dialogue oecuménique,
sur les questions éthiques.
Les chrétiens ne devraient jamais oublier que leur appartenance à l'unique corps du Christ et l'inhabitation de l'Esprit
saint en eux se produit à travers le baptême. Oui, il existe une réelle communion entre chrétiens, qui n'est assurément
pas parfaite ni pleine – mais la communion ne sera parfaite et pleine que dans le royaume de Dieu! –: et cette
communion est donnée par le baptême. Bien que ces dernières décennies aient été caractérisées par un cheminement
oecuménique convaincu, on a toutefois peu réfléchi à la communion que le baptême instaure entre les croyants
appartenant à des confessions diverses. Le « confiteor unum baptisma », que tous les chrétiens proclament, devrait
certainement rappeler la source de la vie spirituelle de chaque chrétien et devrait fournir la conscience que « c'est le
baptême vécu qui fait le chrétien »: il existe une substantielle équivalence entre le baptême, la vie chrétienne et la
sainteté.
À cet égard, je voudrais observer que nous n'avons peut-être pas encore assimilé au niveau théologique et surtout
ecclésiologique toute la portée des accords sur la reconnaissance réciproque du baptême: on a parfois l'impression que
l'on considère l'unicité et le caractère non réitérable du baptême à l'exemple de la reconnaissance internationale d'un
titre académique, mais que l'on ne saisit pas pleinement les implications spirituelles et les potentialités de ces accords.
Le baptême est une figure décisive, objective et ecclésiale de la foi, et c'est dans le baptême que la foi assume sa forme
fondamentale. C'est du baptême que découle le primat de la foi dans la vie spirituelle, comme tension à persévérer dans
l'adhésion au Christ Jésus, dont on s'est revêtu dans le baptême même. C'est du baptême que la vie spirituelle du
chrétien reçoit sa dimension pascale constitutive, qui la configure comme une participation quotidienne à la mort du
Christ afin de vivre, comme co-ressuscité avec lui, en nouveauté de vie (voir Rm 6,4). C'est du baptême que l'existence
chrétienne reçoit son orientation trinitaire ad Patrem per Christum in Spiritu sancto, qui est la dynamique même de la
prière chrétienne. La vie du chrétien sera donc essentiellement marthyría, témoignage baptismal: en effet, selon les mots
de Léon le Grand, « il reste à réaliser en oeuvres ce qui a été célébré sacramentellement » (« implendum est opere quod
celebratum est sacramento ».
Par le baptême, le chrétien devient membre du corps du Christ, il appartient à l'Église de Dieu « une, sainte, catholique et
apostolique », et c'est par la force du baptême qu'il assume la responsabilité de reconnaître ses frères chrétiens comme
les membres du même et unique corps: « sacramentum fidei, sacramentum corporis Christi »! Basile de Césarée a écrit
de manière lapidaire: « Quel est le propre de la foi? Une ferme croyance en la vérité des paroles inspirées par Dieu…
Quel est le propre du croyant? Être affecté dans une telle conviction par la signification des mots de l'Écriture, sans oser
rien en retrancher ni rien y ajouter… car la foi vient de l'écoute de la parole de Dieu (voir Rm 10,17) ».


c) Une vie illuminée par la communion
Quand nous parlons de koinonía, en tant que chrétiens, nous désignons en premier lieu le mystère éternel de la
communion qui est la vie même de Dieu, mais nous disons aussi – puisque nous sommes syn-koinonoí, co-participants
(voir Ph 1,7; Ap 1,9) – qu’à cette communion nous avons part dans le corps du Christ, dans le sang du Christ: la
koinonía est donc « essence », et non « note » de l’Église. Et si la vie du chrétien et de l’Église est une vie selon l’Esprit
saint, c’est-à-dire engendrée par l’Esprit, et une vie dans le Christ, alors la spiritualité ne peut qu’être une spiritualité de
communion. En d’autres termes, la vie du chrétien et de l’Église doit être modelée par la communion; cette dernière n’est
pas une option, ni une découverte récente de la théologie, mais elle est forma ecclesiae. Assurément, la communion des
chrétiens entre eux et avec Dieu, durant le pèlerinage de l’Église vers le Royaume, sera toujours fragile, continuellement
mise à l’épreuve et souvent même contredite; la communion que tout chrétien et que chaque Église sont appelés à vivre
apparaît blessée, dès l'époque du Nouveau Testament déjà (voir 1Jn 2,18-19; 3Jn 9-10…). Néanmoins, alors comme
aujourd’hui, l’Église conserve et poursuit la volonté de Dieu, qui demande sans cesse que soit réalisée la communion
visible du corps du Christ, que l’on « soit un » (hèn eînai) comme le Père et le Fils sont un (Jn 17,11).
Les chrétiens sont-ils conscients de cette nécessité radicale de la communion pour donner forme à leur vie et à la vie
ecclésiale? Il n’est en effet pas possible d’être chrétien sans vouloir l'unité, d'être chrétien et de ne pas mettre en oeuvre
tout ce qui est possible en vue de la communion. Celui qui agit et vit pour la communion avec le Christ ne peut pas, tout
à la fois, ne pas agir et vivre pour la réconciliation et la communion avec ses frères, membres de son propre corps. Ici
encore, je me demande si nous sommes pleinement conscients de ce que signifient, dans l'aujourd'hui du vécu ecclésial
et dans les rapports entre nos Églises, les actes réalisés et les documents signés d'un commun accord pour lever les
excommunications réciproques ou pour considérer que les condamnations du passé ne s'appliquent plus aux partenaires
ecclésiaux actuels.
Je voudrais alors indiquer certaines exigences urgentes pour donner forme à une spiritualité de la communion qui
s’inspire vraiment de l’ecclesiae primitivae forma. Tout d’abord l’exigence que la communion soit plurielle. N’oublions
jamais que la pluralité, la diversité, trouve son attestation dans les écrits fondateurs de notre foi. Dans les Écritures
néotestamentaires, dans les liturgies, dans la vie des Églises, les différences ne sont en aucun cas niées, mais prises en charge; ainsi l’unique vérité, qui est Jésus Christ, est dite, célébrée, pensée sous des modes différents. Y a-t-il une limite
à cette diversité, que nous connaissons comme richesse, mais parfois aussi comme possible tentation menant à la
division, à l’opposition réciproque? C’est une question délicate – reconnaît le métropolite Ioannis Zizioulas – qui
concerne avant tout la problématique oecuménique. Et avec sagesse, ce théologien observe que « la condition la plus
importante en ce qui concerne la diversité est qu’elle ne doit pas détruire l’unité ». C’est là, du reste, l’application
ecclésiale de la parénèse paulinienne sur l’unité du corps, sur le risque de scandale d’un des membres, sur le primat de
la charité en toute circonstance (voir Rm 12,3-13; 1Co 12,12-27). Le rapport « un – beaucoup », « unité – diversité » est
toujours à vivre dans l’obéissance à l’unique corps et à la diversité des dons de l’Esprit saint, car il n’y a pas de vie « en
Christô » sans koinonía de l’Esprit saint. Pour reprendre le langage de Maxime le Confesseur, la « différence » (diaphoría)
est positive, mais elle ne doit jamais devenir « division » (diaíresis).


Un second critère de la koinonía est celui que nous pouvons exprimer par les mots qui proviennent de certains filons de
la réflexion philosophique contemporaine: « jamais sans l'autre », jamais sans l'autre frère, jamais sans l'autre Église,
jamais sans la reconnaissance du statut théologique de l’autre. L’appartenance d’un chrétien à une confession différente
doit, assurément, pouvoir retrouver une forme de koinonía ecclésiale, mais elle doit aussi apparaître légitime: elle n’a pas
à être absolutisée ni démonisée, sinon l’autre deviendrait un ennemi et non plus un « frère pour lequel Christ est mort »
(1Co 8,11). Il s’agit d’apprendre que ce qui unit est bien davantage que ce qui divise, et que le grand bien de la
rencontre et de la communion peut exiger le renoncement à des richesses non essentielles. Ici, la spiritualité de
communion se fait aussi ascèse, c’est-à-dire capacité de discerner et de choisir en tout l’essentiel.
La spiritualité de communion signifie alors également que l’on s’exerce à l’art de l’écoute: non pas pour rechercher chez
l’autre, dans l’autre Église, ce qu’il y a de plus semblable, mais pour accueillir l’altérité plutôt que de l’effacer. Dans la
rencontre oecuménique, l’écoute apparaît alors surtout un partage de la vie et des biens spirituels, une fréquentation
réciproque pour apprendre les idiomes les uns des autres, un apprentissage de ce qui peut blesser l’autre ou lui
apparaître irrecevable. Ainsi tombent les préjugés, ainsi est défaite la peur de l’autre, la tentation d’identifier différence et
division: et ainsi s’ouvre la possibilité de penser la foi avec l’autre, de s’interroger sur son avenir, sa transmission,
l’évangélisation de ce monde que Dieu a tant aimé qu’il lui a donné son Fils unique (voir Jn 3,16).
Cette prise en compte de la diversité et de l’altérité n’ouvre certainement pas la porte au relativisme, si l’on accepte que
dans toute rencontre et dans tout échange règne, comme tiers salvifique, Jésus Christ, le Kýrios. C’est lui, le Kýrios, qui
réunit tout en distinguant, qui rend commun tandis qu’il personnalise, qui nous conduit tous ensemble vers le Royaume à
venir. Et dans cette spiritualité de communion, reconnaissant la présence du Kýrios, on se rappelle et on est assuré que
la diversité des dons s’harmonise également dans la prière: la prière les uns pour les autres, la prière commune,
véritable épiclèse d’une unique eucharistie. C’est dans la prière que nous portons tout ce que nous sommes, mais aussi
tout ce que nous ne sommes pas encore, ce que nous devons devenir suivant la volonté et l’appel du Seigneur.
La prière que nous devons élever avec insistance vers le Seigneur est donc qu’il nous accorde de vivre l'Église, comme
la décrivait un père latin du XIIe siècle, Anselme de Havelberg:
Est unum corpus Ecclesiae, quod Spiritu sancto vivificatur, regitur et gubernatur… Unum corpus ecclesiae uno Spiritu
sancto vivificatur, qui et unicus est in se, et multiplex in multifaria donorum suorum distributione.
Il y a un seul corps de l'Église, que l’Esprit saint vivifie, régit et gouverne… Le corps de l'Église qui est un est vivifié par
l'Esprit saint, qui est un, unique en lui-même, et multiple dans la distribution multiforme de ses dons.


Enzo Bianchi

 


(Traduction de l’italien par Matthias Wirz)