Panorama, 04 juillet 2009
di Enzo Bianchi
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Oui, quand les chrétiens ne désertent pas leur position, quand ils remplissent patiemment la fonction que Dieu leur a confiée, ils sont réellement l'âme du monde, ce monde que Dieu a aimé au point de lui donner son Fils unique.
Cher Jean,
Le personnage du IIe siècle dont je veux te parler aujourd'hui, je ne peux pas t'en dire le nom! On ne connaît en effet que celui de la personne à qui il écrivait… C'est un peu comme si, de nous deux, seul ton nom était connu et qu'on ne savait pas comment je m'appelle! En effet, au moment où les derniers livres du Nouveau Testament étaient rédigés, un auteur anonyme a adressé un bref écrit à un certain Diognète, un païen, citoyen de l'Empire romain, pour lui présenter le christianisme et lui expliquer qui étaient les chrétiens, cette minorité présente désormais dans tout le bassin méditerranéen. Ce texte n'est connu que sous le nom de son destinataire: À Diognète.
Les années où cet écrit a été rédigé étaient celles où les chrétiens subissaient parfois l'opposition, voire la persécution, mais où ils savaient toutefois nourrir cette capacité divine de « voir en grand », de lire l'histoire et de comprendre l'humanité avec un amour fort et une profonde espérance. Si les chrétiens étaient alors une minorité dans la société, leur présence n'était pas pour autant insignifiante: loin de vivre dans l'angoisse pour leur situation, ils trouvaient au contraire la possibilité de manifester leur foi, d'être fidèles à l'Évangile en le traduisant dans leur vie au sein de la société. Ils étaient conscients que le christianisme porte en lui un message d'humanisation. Ils savaient que la vie chrétienne est une existence belle, bonne et heureuse… En sommes-nous toujours aussi conscients?
Dans À Diognète, nous ne trouvons pas de positions dures, ni de pensées de mépris envers ceux qui ne sont pas chrétiens. Voici par exemple comment l'auteur décrit les chrétiens: « Ils ne se distinguent pas des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Leur genre de vie n’a rien de singulier, manifestant toutefois une forme de vie sociale admirable, bien que paradoxale. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent la table et non le lit… En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. Ils habitent dans le monde mais ne sont pas du monde. ».
Voilà la « différence chrétienne » qui ressort dans l'« indifférence » des habitants de l'Empire: c'est une différence qui se manifeste par l'attitude de partage des biens, par l'amour vécu avec fidélité, par la position adoptée en faveur de ceux qui sont sans défense.
Mais me diras-tu, la lettre À Diognète contient aussi une expression étrange: les chrétiens sont-ils vraiment « l'âme du monde »? N'est-ce pas une prétention arrogante? En vérité, quand j'entends qu'on utilise cette expression aujourd'hui, je me sens mal à l'aise. Car pour qu'elle soit crédible, cette affirmation devrait être mise en pratique. Il ne suffit pas de dire que les chrétiens sont l'âme du monde pour qu'ils le soient: cela doit être vécu! Mais il reste vrai que le christianisme a un message qui peut offrir élan et dynamisme à nos sociétés en recherche de sens et d'humanisation. Lorsque les chrétiens transmettent avec authenticité leur vision de la vie communautaire, du respect de chaque personne, de la possibilité d'une vie dans la justice et dans la paix, alors ils parviennent à être reconnus comme l'âme du monde. Ils peuvent devenir, humblement, ce souffle vital qui soutient la vie commune des hommes.
Oui, quand les chrétiens ne désertent pas leur position, quand ils remplissent patiemment la fonction que Dieu leur a confiée, ils sont réellement l'âme du monde, ce monde que Dieu a aimé au point de lui donner son Fils unique.
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Fraternellement,
ton ami Enzo